La désobéissance civile pour survivre et un titre comme un slogan pour la pièce de Franca Rame et du Prix Nobel révolté Dario Fo. Une satire acerbe et truculente de notre société de consommation, d’une actualité déconcertante et à la mécanique burlesque bien huilée.
Dario Fo a arpenté toute sa vie les estrades des usines pour diffuser aux ouvriers son théâtre si drôle, marqué par son engagement sociopolitique. Ni la censure, ni ses divers procès avec l’État et le Vatican n’auront eu raison de son comique ravageur et de son insolence civique. D’abord écrite en 1974, inspirée par les luttes populaires durant les années de plomb en Italie, il réécrit avec Franca Rame une nouvelle version à l’heure de la crise des subprimes. Dans un supermarché, deux femmes en colère s’indignent face à la flambée des prix. L’une d’entre elles décide de rafler tout ce qu’elle trouve, du millet pour canaris à la pâtée pour chiens. Mais où cacher le butin ? La course poursuite s’engage alors avec les gendarmes dans une série de péripéties loufoques parfaitement réglées par Bernard Lévy. Une farce jubilatoire qui interroge nos propres comportements « Comment agir » ?
Inspiré d’une histoire de gamins qui tourne mal, L’Endormi transcende les faits et casse les codes en mêlant brillamment théâtre et rap. Sans moralisme, ni condescendance, il raconte la possibilité de réinventer sa vie et fait entrer dans nos oreilles de la pure poésie.
Victoire a dix ans, son frère Isaac en a quinze. C’est le boss du quartier, celui qui cogne et ne rate jamais sa cible. Mais depuis quelques jours, Victoire sent qu’on lui cache quelque chose. Entre l’auteur Sylvain Levey et le conteur-slammeur Marc Nammour, la sauce a pris. Valentin Durup, son acolyte du groupe La Canaille, s’est chargé des musiques, Estelle Savasta de la mise en scène. Tous les quatre signent un bijou de spectacle et traitent avec délicatesse d’un sujet grave. Un drame, un soir de novembre 2017, dans le XIe arrondissement de Paris, un garçon de quinze ans meurt poignardé par un membre d’une bande rivale. Quinze ans n’est pas un âge pour mourir. Dans cette pièce, Issac aura, lui, une seconde chance. Un uppercut enthousiasmant où les rêves de Victoire vont défier les pires des pronostics.
Un homme présente partout son ami, le très grand lapin Harvey, que personne ne voit. Entre les mains de Laurent Pelly, cette tendre farce, riche en quiproquos, devient un petit joyau de drôlerie et d’esprit.
Connaissez-vous la folle histoire d’Elwood P. Dowd et de son ami extraordinaire, invisible aux yeux des autres ? Les Anglo-saxons répondraient tous par l’affirmative à cette question. Bizarrement, nous autres, Français, connaissons peu le fameux lapin de deux mètres dénommé Harvey, décrit en 1944, par Mary Chase, dans une pièce de théâtre qui remporta un incroyable succès. Ce drôle de conte à la fantaisie débordante était fait pour le metteur en scène Laurent Pelly. Le casting est à l’avenant puisque Jacques Gamblin prête toute sa douceur fantasque au personnage d’Elwood. Une interprétation lunaire récompensée par le Molière du comédien 2022. Nous voguons ainsi de salons bourgeois en asiles d’aliénés avec l’enchantement que nous procure toujours les spectacles d’un des metteurs en scène préféré des Grenoblois.
Authenticité, engagement, franc-parler et poésie : Gaël Faye est tout cela à la fois. Son Petit pays a créé un véritable raz-de-marée littéraire. Inspiré de son enfance, il convoque l’histoire pour appréhender l’entreprise génocidaire et enclencher le devoir de mémoire. Frédéric R. Fisbach universalise l’histoire de cet enfant à qui on a volé ses moments de joie.
Originaire du Burundi, Gaël Faye a été forcé au départ vers la France par la guerre civile et le génocide des Tutsi rwandais de 1994. La guerre, l’exil, la peur, la solitude… cette histoire-là, il la raconte sans faux-semblants, avec la distance nécessaire pour ne pas sombrer. Dans son roman, vainqueur de 10 prix littéraires et traduit dans 35 pays, Gabriel et sa bande d’ados font les quatre cents coups entre l’école et un combi Volkswagen qui leur sert de QG. Mais, très vite, tout s’effondre dans leur petit coin de paradis. Le metteur en scène transpose cette entrée forcée dans le monde des adultes en terrain de jeu. Comédiens et musiciens, noirs, blancs, français ou étrangers, ils seront une dizaine au plateau à questionner nos métissages, nos mémoires et nos propres responsabilités face à l’Histoire. Petit pays, grands traumatismes, immense émotion.
Levez le pouce et embarquez dans un road-trip documentaire. Installez-vous et laissez-vous guider par cette jeune troupe engagée et ce metteur en scène à la dramaturgie plurielle, qui apportent un nouveau souffle au théâtre français.
Avec Une jeunesse en été, le metteur en scène Simon Roth explore un mode de transport en déroute : l’autostop. Plus précisément, avec ses camarades de promotion du CNSAD, il suit le sillon documentaire d’Edgar Morin et Jean Rouch pour un nouveau tour de France tissé au fil de leurs entretiens du printemps 2021. Entre vidéos et jeux des acteurs, le plateau retranscrit la richesse de leurs interviews, leurs saveurs mêlées où l’on parle autant politique, amours que chaussettes dépareillées. Un théâtre documentaire où la réalité dépasse la fiction et où l’intime relie au-delà des différences. Dans la lignée du cinéma-vérité, la génération des années Covid interroge le monde avec les outils du théâtre sans jamais oublier la joie de la rencontre et la légèreté du voyage.
Pourquoi les filles n’ont-elles aucun problème pour s’identifier à des héros masculins alors que l’inverse est si compliqué pour les garçons ? Entre humour et suspense, trois sœurs éprises de liberté démontent en un tournemain ce paradoxe et bouleversent les identités assignées.
Odile Grosset-Grange rêvait d’une pièce sensible sur la famille et la place des femmes dans un monde régenté par les hommes. Mike Kenny y répond par un conte moderne où, sous couvert de protéger les femmes, on les enferme, séparées des hommes, coupées du monde. Dans une famille avec trois filles, l’une d’entre elles décide de se déguiser en garçon pour pouvoir sortir. Elle devient Jimmy et commence à y prendre goût. Comment ses sœurs vont-elles réagir alors que dehors la rumeur court que les garçons se transforment un par un en loup ? Un spectacle d’une grande sensibilité qui pose la question de la représentation des filles dans l’imaginaire collectif.
Pourquoi la Chine, après avoir suscité tant d’espoirs de progrès et tant d’éloges de réussite économique, a-t-elle adopté un hyper capitalisme despotique et prédateur pour les siens et pour le monde ? Adieu la mélancolie dresse le portrait décapant d’une puissance bâtie sur une tragédie tue et taboue, pour en finir avec l’amnésie institutionnalisée et la lâcheté.
Déjà avec Nous l’Europe, banquet des peuples, Roland Auzet s’attachait à construire un récit européen traversé par l’utopie d’origine et l’espoir d’aujourd’hui. Avec cette nouvelle création, il s’empare de l’ouvrage de Luo Ying. Ancien voyou devenu businessman et poète, il raconte ses souvenirs alors qu’il était garde rouge durant la Révolution culturelle. Vue d’Occident, cette période avait quelque chose de romantique. Elle voyait une jeunesse renverser un système sous la conduite de Mao. De l’autre côté de la Grande Muraille, la réalité a été tout autre : endoctrinement de masse, déchaînement de violence encouragée par le grand timonier. À travers une dizaine de portraits portés par une distribution franco-chinoise, le metteur en scène-compositeur construit une fresque théâtrale qui traite de la réappropriation de l’histoire personnelle et nationale.
Georges Lavaudant est un réel amoureux du théâtre de Shakespeare. Il nous le prouve une fois de plus avec Le Roi Lear, qu’il monte pour la 3e fois. À ses côtés, Jacques Weber, qui a reçu un Molière d’honneur en mai dernier, endosse le costume du souverain. Un grand rôle, tout en démesure.
Lors d’une belle soirée, le roi Lear décide de réunir ses trois filles. Le vieil homme souhaite quitter le pouvoir et diviser son royaume entre ses enfants. Mais avant de procéder au partage, il cherche à savoir combien chacune d’entre elles l’aime. Car la part la plus importante du royaume sera cédée à la plus aimante. Alors que les deux aînées n’hésitent pas à flatter l’ego de leur père, Cordélia, la plus jeune et plus sincère, explique qu’un jour, elle lui partagera son cœur avec son futur mari. Piqué au vif, le roi tombe dans une colère noire, il la déshérite, la chasse du royaume. Il provoque la chute de tous ceux qui l’entourent et devient fou. À travers ce voyage au cœur des passions humaines, Lear est une pièce-monde où les excès, en amour comme en politique, démontrent que rien n’est finalement acquis.