La Tragédie de Carmen

Adaptation légendaire du Carmen de Bizet par Peter Brook, Jean-Claude Carrière et Marius Constant, La Tragédie de Carmen en tire la quintessence dans une partition forte, interprétée  avec justesse par l’Ensemble Miroirs Étendus. Quand on aime, on ne tue pas.

Dans le répertoire imaginaire des mélomanes, il y a Carmen et La Tragédie de Carmen, version resserrée de l’histoire de l’ensorcelante bohémienne qui, avec quatre chanteurs, deux comédiens et un ensemble instrumental, souligne toute l’intensité du drame. Signée Peter Brook, Jean-Claude Carrière et Marius Constant, cette adaptation de l’opéra de Bizet revient aux racines de la nouvelle de Mérimée. Elle dépouille l’histoire de tout pittoresque pour souligner les relations brûlantes des personnages, entraînant le spectateur «dans une foudroyante et fascinante chevauchée du côté de la mort». La Tragédie de Carmen suscite un tel choc à sa création en 1981 aux Bouffes du Nord que Peter Brook décide d’en faire un film, lui aussi entré dans la légende. Elle est présentée ici dans une magnifique distribution, réunie par le Théâtre Impérial – Opéra de Compiègne, emmenée par la cigarière virtuose Julie Robard-Gendre.

Backbone

Entre pyramides humaines, voltiges et acrobaties, Backbone se moque de la gravité terrestre et exalte la puissance du collectif. ­­­Ce « Cirque du Soleil d’Australie » se passe d’agrès pour exprimer la puissance des corps et leur équilibre fragile.

Gravity and Other Myths invente depuis 10 ans un nouveau cirque dont les soubassements empruntent aux langages de la danse et du théâtre. Dans un chaos soigneusement organisé, dix acrobates s’attrapent et se soulèvent avec confiance et décontraction. Ne vous fiez pas aux apparences, aussi époustouflantes soient-elles, un sens de l’espace et de la lumière maîtrisé soutient la virtuosité des portés. À l’image de la colonne vertébrale, garante de « l’intégrité du corps humain et de la société », seules la force et la communion des artistes circassiens et des musiciens permettent à l’ensemble de s’élever. Au-delà de son déluge acrobatique, Backbone nous questionne sur le vivre ensemble, sur les poids et les limites physiques ou mentales qui nous lestent.

Navy Blue

Entre ballet contemporain, projection de vidéos, emprunt au code cinématographique et musique électro, Navy Blue est la toile de fond d’un poème chorégraphique. Entre l’effroi et l’espoir, une création intense et engagée.

La chorégraphe irlandaise Oona Doherty entraîne dans son sillage scénique des talents aussi éclectiques que pointus, du musicien Jamie XX au vidéaste Nadir Bouassria. Le public grenoblois a pu découvrir son travail viscéral et audacieux avec Hope Hunt lors de La MC2 en fête en juin 2021, repris de manière démultipliée en 2022 dans le programme du Ballet national de Marseille. Pour cette nouvelle création (répétée en partie dans nos murs), la chorégraphe entend mêler, dans une chrysalide de bleu, « danse classique, texte et danse contemporaine comme terrain de jeu d’une violente spirale ».

Via Injabulo

Les chorégraphes européens Amala Dianor et Marco da Silva Ferreira ont accepté l’invitation de la compagnie sud-africaine Via Katlehong. Chacun, à sa manière, s’est inspiré du réservoir d’énergie et de revendication identitaire du collectif urbain pour dessiner les deux pistes de danse de Via Injabulo.

Marco Da Silva Ferreira a recherché un territoire commun. førm Inførms redonne vie à ses squelettes, parfaits représentants osseux du langage chorégraphique de l’isipantsula, où l’on « marche avec les fesses en saillie ». Cette composition fantaisiste et fantomatique, loin d’être macabre, est portée par l’élan vital des Via Katlehong. En 2e partie, Emaphakathini, ce qui signifie entre-deux en zoulou. Cette pièce d’Amala Dianor défriche le patrimoine des danses traditionnelles ou communautaires d’Afrique du Sud comme le gumboots ou le pantsula. Dans ce paysage tournoyant, la puissance et la fragilité de chaque interprète se libèrent des lignes de partage du passé et des tentatives d’assignation du présent.

Pénélope

Versant de son mythique ballet Ulysse, la nouvelle création de Jean-Claude Gallotta éclaire la figure protéiforme de son épouse vertueuse jusqu’à la ruse. Une ode sensuelle et ludique à la stratégie disruptive de la danse.

Il aura fallu 40 ans à Jean-Claude Gallotta pour nous livrer la face contemporaine et féminine de son Ulysse. Au tour de Pénélope d’être démultipliée et confrontée aux prétendants. Dans le clair-obscur du plateau, scènes de groupe et images filmées alternent entre combats et réconciliations. Fidèle à son art du détournement, le chorégraphe grenoblois rend hommage à la danse, à sa vision foncièrement égalitaire des corps et à son pouvoir de décadenasser les esprits.

Imperfecto

Réunir sur le plateau deux cultures communautaires radicalement différentes, les faire converser et même chavirer ensemble. Tel est le pari fou de la pièce Imperfecto. Quand un maître du flamenco rencontre une danseuse échappée du hip-hop, le battle s’annonce étonnant et savoureux.

Il faut être deux pour danser. La singulière Jann Gallois de la compagnie BurnOut et le prodige du flamenco David Goria confirment une nouvelle fois cet adage aussi simple que puissant. Avec curiosité, leurs corps s’exposent, s’observent et osent se défaire de leur propre héritage pour aller à la rencontre de l’autre. Les tableaux foisonnants et créatifs se succèdent avec fluidité et humour. Accompagnée par le chanteur David Lagos et ses musiciens, Alejandro Rojas et Daniel Suarez, la danse circule, tantôt noble, tantôt sauvage, toujours libre entre les deux univers de références des interprètes. Hors des sentiers battus, un voyage jubilatoire et électrique à travers nos failles respectives, passages de la lumière et des élans du désir.

La Belle au bois dormant

Cette création pour quinze danseurs du chorégraphe catalan Marcos Morau signe un retour aux sources du conte, chambre noire de nos imaginaires et de nos espérances déchues. Préparez-vous à un réveil visuel et sonore entre archaïsme et modernité.

Portée par la partition originale de Tchaïkovski, cette création de Marcos Morau est une célébration de l’imaginaire, du collectif et de la dissonance. Finie la période de latence heureuse de 100 ans ! En ces temps crépusculaires, la légende de la Belle au bois dormant nous renvoie à nos rêves de progrès transformés en cauchemars d’éternel retour. Gageons que la force de cette écriture chorégraphique au cordeau donnera l’envie de (tout) recommencer !

La Douleur

Patrice Chéreau nous a quittés il y a 10 ans. En son hommage, son actrice fétiche Dominique Blanc reprend sa mise en scène du journal d’après-guerre de Marguerite Duras. Jamais le plateau ne fut autant chargé de fantômes aussi douloureux que lumineux.

Dans La Douleur, Marguerite Duras consigne tout à la fois la Résistance, la Libération, les camps mais aussi l’attente terrible, l’espoir fou et le retour incroyable de l’homme aimé, Robert L., devenu l’ombre de lui-même. Avec la complicité de Thierry Thieû Niang, Patrice Chéreau a adapté ce texte intime pour sa fidèle compagne de route. Il a créé un objet de théâtre universel qui résonne avec la blanche écriture durassienne. Primée pour ce rôle par le Molière de la meilleure comédienne en 2010, Dominique Blanc, sociétaire de la Comédie-Française, incarne de nouveau la force de vie inouïe de cette femme et sa façon de lutter au quotidien pour dépasser la peur et revenir de l’enfer. L’émotion intacte, elle transmet cette œuvre, humblement, sans trémolo. À ne pas manquer. Parce que c’est elle. Parce que c’est lui.